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J'ai toujours pensé qu'on pouvait dire Phèdre comme un poème, et non seulement le jouer comme une pièce de théâtre. Vous nous avez donné ce texte vraiment unique, absolument extraordinaire, d'un seul souffle, avec son rythme d'hallali, marche funèbre qui s'accélère au fur et à mesure que la Mort gagne du terrain, avec ses inspirations et ses expirations, ses pauses et ses déferlements, ses moments murmurés et ses hurlements de rage, ou d'amour, ou de souffrance, ces distinctions se confondent dans l'incantation du poème, et le dire ainsi en continu, sans chercher à jouer les "personnages" mais en faisant du verbe poétique l'unique et véritable personnage du drame, et en servant seulement le rythme du texte, fait apparaître ce souffle haletant, sans cesse coupé, des esprits en proie à une panique surnaturelle qui hantent la Phèdre de Racine. J'imaginais un accompagnement de tambour, crescendo selon la progression de cette histoire de possession, habité par des fantômes venus de l'au-delà. Ou bien, pour cette leçon de ténèbres de l'amour fou, le prélude de Tristan et la transfiguration de la mort d'Isolde - mais il n'y a pas de transfiguration chez Racine, il est étonnant qu'un poète chrétien ait pu réaliser un drame aussi radicalement païen, pas un rayon de grâce pour venir nous sauver de la nuit du désir ni de l'abandon à la mort. Le théâtre, en divisant les voix, en les distribuant dans un jeu scénique réglé comme un ballet, certes fait apparaître le rituel de la danse d'amour et de mort mais aussi recouvre la puissance du pur flux poétique, la magie de l'invocation. Il y a dans Phèdre quelque chose de la pythie, de la prophétesse qui ne prend la parole qu'au bord de l'autre monde, à la limite des mondes, et l'on sent dans tout le drame la proximité menaçante des ombres infernales, de ces monstres surnaturels qui environnent la légende de Thésée, et qui reviennent avec ce roi de retour des enfers, pour l'assomption finale, comme pour le retour d'un refoulé. Ce que votre fièvre m'a fait aussi comprendre, c'est le mariage paradoxal, dans le texte de Racine, d'une extrême tenue de la langue - c'est la langue frémissante d'une aristocratie non encore domptée par la monarchie, toujours dans la tension du défi, dans l'imminence du duel- et de l'absolue sauvagerie du contenu. <em>Une extrême violence dans une forme terriblement surveillée, l'union presque incompréhensible d'un séisme inhumain et d'une maîtrise plus qu'humaine</em>. <em>Et il ne faut pas dire que l'inhumanité sacrée qui répond à l'appel poétique est disciplinée par la perfection de la forme, il faut à l'inverse comprendre que c'est précisément cette perfection de la forme qui est l'expression de la plus intense, de la plus haute cruauté.</em></p>
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Il fallait oser nous faire entendre cette voix. Je ne suis pas prêt de l'oublier.</p>
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Jacques Darriullat (philosophe)</p>
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Phèdre performance/solo
Eblouissement et secret, le verbe poétique incarné par Pascaline Ponti seule en scène devient l'unique personnage du drame de Jean Racine.
Successful
20
Contributions
06/24/2014
End date
€5,050
Out of €5,000
101 %
The publications
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C’est avant tout une histoire d’éblouissement : Phèdre est « éblouie du jour qu’[elle] revoit », et d’abord par Hippolyte, Hippolyte par cette « flamme si noire » dont « la fille de Minos et de Pasiphaé » lui fait l’aveu, et par les exploits de son père Thésée, lui-même ébloui par les accusations trompeuses d’Œnone contre son fils... Ce jour-là, le jour de la tragédie, ils sont tous comme foudroyés par le formidable pouvoir de Vénus. Une seule voit s’ouvrir devant elle un amour « clair et serein » : c’est Aricie, jeune fille forte comme Racine sait les écrire, seule à échapper à une parenté fatale avec les dieux…</p>
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Ce n’est pas la première fois qu’une comédienne tente de donner le texte de Phèdre en son entier, d’en respirer tout le texte d’un vaste souffle. La vertu de celle de Pascaline Ponti est de faire « monter » tous les personnages : Ismène, confidente d’Aricie, Panope, « femme de la suite de Phèdre », qu’on oublie toujours, prennent ici leur vraie place, disent ce qu’elles ont à dire, dans l’instant, dans l’urgence de la scène, forcément à hauteur égale. De même, les questions politiques prennent ici leur vraie place : Hippolyte a grandi en un jour, et pas seulement comme successeur de son père supposé mort. Il conquiert, dans ses paroles à Aricie, une vraie responsabilité, et s’il dit une fois de plus vouloir partir, ce n’est plus en timide apprenti partant pour son grand tour d’initiation, mais en prince raisonnable.</p>
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Porté par Pascaline Ponti, le poème dramatique a rarement résonné avec une telle générosité. La Poétique d’Aristote recule d’une case : le drame devient le récit, le chant qu’il porte en lui. Tout est emporté dans un mouvement continu, d’avancées et de retraits, d’élans et de retenue. La comédienne n’illustre jamais, ne sépare pas les personnages, elle les enchaîne comme les diverses faces d’une même pensée. Elle se laisse traverser par eux, et ils nous parviennent. Elle le fait, si l’on peut dire, avec une passion tranquille, sans le moindre effet ni artifice.</p>
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Phèdre signifie, justement, « l’éblouissante ».</p>
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Pascaline Ponti ne cherche pas à éblouir : elle éclaire, et réchauffe la pièce de Racine. C’est fort, et beau.</p>
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<em>Christine Friedel</em> le blog du Théâtre</p>
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