Hexagones, l'aventure du nouveau journalisme

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<p> <em>Dans la rubrique &quot;D&eacute;cryptages&quot;, Hexagones vous proposera, sous la plume d&#39;un des journalistes participant &agrave; l&#39;&eacute;quipe, l&#39;analyse d&#39;un fait d&#39;actualit&eacute;, mais uniquement si ses connaissances et son exp&eacute;rience de cette information permettent d&#39;&eacute;clairer ce fait par des &eacute;l&eacute;ments concrets.</em></p> <p> &nbsp;</p> <p> <strong>Kerviel, le syst&egrave;me et l&rsquo;opinion</strong></p> <p> &nbsp;</p> <p> <strong>Les faits de l&#39;affaire Kerviel et les d&eacute;cisions judiciaires rendues infirment l&#39;image de victime qu&#39;il s&#39;est cr&eacute;&eacute;e, d&eacute;fendue par certains dirigeants politiques et qui a convaincu une partie de l&#39;opinion</strong>.</p> <p> &nbsp;</p> <p> <img alt="Kkbb_kerviel-tleveque" src="https://kkbb-production.s3.amazonaws.com/uploads/project_image/image/93787/kkbb_kerviel-tleveque.jpg" /></p> <p> <em>cr&eacute;dits photo : sipa</em></p> <p> &nbsp;</p> <p> <strong>&laquo;&nbsp;Qui &ecirc;tes-vous donc, M. Kerviel&nbsp;?&nbsp;&raquo;</strong></p> <p> &nbsp;</p> <p> &nbsp;</p> <p> &Agrave; cette question que lui posa le pr&eacute;sident du tribunal de Paris, Dominique Pauthe, lors de son premier proc&egrave;s en 2010, l&rsquo;ancien trader de la Soci&eacute;t&eacute; G&eacute;n&eacute;rale n&rsquo;avait pas vraiment su r&eacute;pondre. Aujourd&rsquo;hui, une partie de l&rsquo;opinion fran&ccedil;aise, stimul&eacute;e par l&rsquo;ancienne candidate &eacute;cologiste &agrave; la pr&eacute;sidentielle &Eacute;va Joly, le leader du Front de gauche Jean-Luc M&eacute;lenchon, quelques membres de l&rsquo;&eacute;piscopat catholique, de nombreuses personnalit&eacute;s d&rsquo;horizons divers, de nombreux m&eacute;dias, a r&eacute;pondu cat&eacute;goriquement : J&eacute;r&ocirc;me Kerviel est une victime du monde monstrueux de la finance sans &acirc;me, qui a plong&eacute; le monde dans la crise et se serait avec lui trouv&eacute; un bouc &eacute;missaire commode pour faire oublier ses turpitudes.</p> <p> &nbsp;</p> <p> C&rsquo;est une approche que chaque Fran&ccedil;ais a pu exprimer &agrave; son d&eacute;jeuner de famille dominical ou au bistro du coin avec ses amis. C&rsquo;est une id&eacute;e simple et m&ecirc;me en apparence &eacute;vidente que beaucoup des journalistes qui se sont pr&eacute;sent&eacute;s en 2010 au d&eacute;but du premier proc&egrave;s public de l&rsquo;affaire partageaient aussi, secr&egrave;tement ou non. C&rsquo;est sur cette sympathie confuse et instinctive que le jeune homme a jou&eacute; le 17 mai pour sa marche italienne cens&eacute;e &ecirc;tre r&eacute;demptrice et faire de lui une sorte de figure christique de la crise financi&egrave;re. Il pointe toujours du doigt sa &laquo; hi&eacute;rarchie &raquo; &agrave; la banque, qui l&rsquo;aurait laiss&eacute; faire, un fait que l&rsquo;on voudrait cacher.</p> <p> &nbsp;</p> <p> Avant de se pr&eacute;senter in extremis au commissariat de Menton et d&rsquo;&ecirc;tre &eacute;crou&eacute; pour commencer &agrave; purger sa peine de trois ans de prison ferme, il en a appel&eacute; au pr&eacute;sident Hollande, pour demander &laquo; l&rsquo;immunit&eacute; &raquo; pour d&rsquo;hypoth&eacute;tiques t&eacute;moins cens&eacute;s r&eacute;v&eacute;ler la &laquo; v&eacute;rit&eacute; &raquo; sur l&rsquo;affaire. Il n&rsquo;a m&ecirc;me pas saisi la perche tendue par l&rsquo;&Eacute;lys&eacute;e, qui lui a rappel&eacute; que le chef de l&rsquo;&Eacute;tat avait une seule pr&eacute;rogative constitutionnelle, quant &agrave; une affaire jug&eacute;e d&eacute;finitivement par l&rsquo;autorit&eacute; judiciaire ind&eacute;pendante, exercer &eacute;ventuellement un droit de gr&acirc;ce.</p> <p> &nbsp;</p> <p> <strong>50 milliards d&rsquo;euros</strong></p> <p> &nbsp;</p> <p> En v&eacute;rit&eacute;, jusqu&rsquo;au bout, cette affaire aura permis &agrave; ceux qui ont eu le privil&egrave;ge de suivre l&rsquo;instruction, puis d&rsquo;assister de bout en bout aux deux proc&egrave;s sur le fond, puis de rendre compte de l&rsquo;arr&ecirc;t final de la Cour de cassation en 2014, de prendre conscience d&rsquo;une v&eacute;rit&eacute; terrible : la Soci&eacute;t&eacute; G&eacute;n&eacute;rale, ses structures de contr&ocirc;le, ses petits chefs, ses grands dirigeants, ses experts si fiers de leur science &agrave; l&rsquo;&eacute;poque reconnue des march&eacute;s financiers, n&rsquo;ont pas r&eacute;alis&eacute; qu&rsquo;un trader anonyme parmi tant d&rsquo;autres de la tour de la D&eacute;fense, avait pos&eacute; la somme vertigineuse de 50 milliards d&rsquo;euros sur la table virtuelle des march&eacute;s, entrainant avec une perte de 4,9 milliards d&rsquo;euros la banque et ses 280.000 employ&eacute;s au bord du gouffre. J&eacute;r&ocirc;me Kerviel a bel et bien tromp&eacute; de son petit ordinateur cette machine sid&eacute;rante par sa puissance, embl&egrave;me de la finance.</p> <p> Pour convaincre de ce fait ceux qui doutent, il faut rappeler d&rsquo;abord que l&rsquo;instruction a &eacute;t&eacute; conduite par le juge Renaud Van Ruymbeke, le plus r&eacute;put&eacute; des juges d&rsquo;instruction fran&ccedil;ais. Son pass&eacute; et son travail font qu&rsquo;il est impossible de soup&ccedil;onner une connivence avec le monde financier, et il en est de m&ecirc;me pour Dominique Pauthe, pr&eacute;sident du tribunal de Paris qui a dirig&eacute; le premier proc&egrave;s (magistrat qui a par ailleurs prononc&eacute; la condamnation de Jacques Chirac dans les emplois fictifs de la Ville de Paris, la premi&egrave;re dans l&rsquo;histoire de France pour un ex-pr&eacute;sident) et pour Mireille Filippini, pr&eacute;sidente de la cour d&rsquo;appel ayant confirm&eacute; la condamnation.</p> <p> &nbsp;</p> <p> <strong>&laquo; l&rsquo;unique concepteur et r&eacute;alisateur du syst&egrave;me de fraude &raquo;</strong></p> <p> &nbsp;</p> <p> Il faudrait surtout, pour convaincre tous ceux qui doutent, reprendre les centaines de pages du dossier d&rsquo;instruction, du jugement et des arr&ecirc;ts rendus concluant que J&eacute;r&ocirc;me Kerviel &eacute;tait <em>&laquo; l&rsquo;unique concepteur et r&eacute;alisateur du syst&egrave;me de fraude &raquo;.</em> N&rsquo;utilisons que quelques &eacute;l&eacute;ments simples du dossier. D&rsquo;abord, J&eacute;r&ocirc;me Kerviel a toujours reconnu avoir pass&eacute; de faux ordres sur les march&eacute;s pour dissimuler ses expositions d&eacute;mentielles.</p> <p> &nbsp;</p> <p> <strong>Faux mails</strong></p> <p> &nbsp;</p> <p> Il a toujours avou&eacute; avoir menti &agrave; sa hi&eacute;rarchie, et l&rsquo;avoir tromp&eacute;e notamment par de faux mails, &agrave; de fort nombreuses reprises, quand on lui a demand&eacute; de s&rsquo;expliquer sur ses agissements. Pourquoi, si sa hi&eacute;rarchie &eacute;tait au courant, lui mentir et la tromper ? J&eacute;r&ocirc;me Kerviel n&rsquo;a jamais v&eacute;ritablement r&eacute;pondu &agrave; cette question. Les sceptiques r&eacute;pondront que l&rsquo;approbation &eacute;tait implicite. <em>&laquo; Tant qu&rsquo;il gagnait, on le laissait faire &raquo;</em> : faux. Les positions de J&eacute;r&ocirc;me Kerviel, avant d&rsquo;&ecirc;tre b&eacute;n&eacute;ficiaires de 1,4 milliard d&rsquo;euros d&eacute;but 2008 puis de sombrer sur fond de d&eacute;but de crise financi&egrave;re, avaient &eacute;t&eacute; perdantes de deux milliards d&rsquo;euros, courant 2007, sans que personne ne r&eacute;agisse.</p> <p> &nbsp;</p> <p> Quel int&eacute;r&ecirc;t aurait eu la banque &agrave; laisser se cr&eacute;er un tel risque, puis &agrave; le laisser perdurer ? Les financiers peuvent &ecirc;tre vus parfois l&eacute;gitimement comme cupides et irresponsables, certainement pas comme suicidaires. Le fait que la Soci&eacute;t&eacute; G&eacute;n&eacute;rale n&rsquo;ait rien vu de cet &eacute;pisode d&eacute;lirant du travail d&rsquo;un de ses employ&eacute;s est en fait bien plus confondant pour ce monde financier que la th&eacute;orie alambiqu&eacute;e du complot et du bouc &eacute;missaire. Est ainsi en effet d&eacute;montr&eacute; que la roue folle de cet univers tourne en permanence au bord du gouffre. La justice r&eacute;publicaine a sanctionn&eacute; ce fonctionnement par une avanc&eacute;e juridique.</p> <p> Il faut en effet contester l&rsquo;une des derni&egrave;res grandes id&eacute;es re&ccedil;ues de cette affaire : la Soci&eacute;t&eacute; G&eacute;n&eacute;rale n&rsquo;est pas sortie indemne de ces proc&egrave;s, loin de l&agrave;. Elle a d&rsquo;abord &eacute;t&eacute; sanctionn&eacute;e par la Commission bancaire d&rsquo;une amende de quatre millions d&rsquo;euros pour d&eacute;faut de contr&ocirc;le (80 % de la sanction maximale). Surtout, la Cour de cassation a rendu en mars 2014 une d&eacute;cision fondamentale sur la responsabilit&eacute; civile de l&rsquo;affaire, en modifiant une jurisprudence jusqu&rsquo;ici incontournable. Bien que victime du d&eacute;lit &laquo; d&rsquo;abus de confiance, faux et usage de faux, introduction frauduleuse de donn&eacute;es dans un syst&egrave;me informatique &raquo;, la banque est au moins en partie responsable de la perte, du fait de son incurie dans le contr&ocirc;le, a dit la plus haute juridiction fran&ccedil;aise. Une autre cour d&rsquo;appel dira comment r&eacute;partir la facture de 4,9 milliards entre la banque et son trader. Cette d&eacute;cision est un signal fondamental et sans ambigu&iuml;t&eacute; envoy&eacute; &agrave; la finance pour l&rsquo;avenir : l&rsquo;&egrave;re de l&rsquo;irresponsabilit&eacute; doit prendre fin.</p> <p> &nbsp;</p> <p> La justice de la R&eacute;publique fran&ccedil;aise a donc trait&eacute; justement et sereinement cette affaire, lors de proc&egrave;s &eacute;quitables, o&ugrave; le syst&egrave;me de d&eacute;fense de J&eacute;r&ocirc;me Kerviel a &eacute;t&eacute; tout simplement an&eacute;anti par les faits. Au-del&agrave;, cette justice a sans doute donn&eacute; la vraie mesure de ce dossier qui marquera profond&eacute;ment, sans doute, l&rsquo;histoire &eacute;conomique. Le &laquo; syst&egrave;me &raquo; n&rsquo;est pas situ&eacute; dans l&rsquo;&eacute;ther, au-dessus des humains. Il est fait au contraire de mati&egrave;re humaine, de banquiers et de dirigeants financiers certes, mais aussi d&rsquo;&eacute;pargnants, de retrait&eacute;s amateurs de juteux rendements de fonds de pension et de traders ordinaires comme J&eacute;r&ocirc;me Kerviel. Tout syst&egrave;me n&rsquo;existe que par ceux qui y croient et qui y travaillent, et ce fut le cas du jeune homme qui avait vou&eacute; sa vie &agrave; ce m&eacute;tier, jusqu&rsquo;au d&eacute;lire. Tout repenti sinc&egrave;re ou non qu&rsquo;il soit aujourd&rsquo;hui, J&eacute;r&ocirc;me Kerviel ne pourra fuir cette r&eacute;alit&eacute; : un jour, il A &Eacute;T&Eacute; le syst&egrave;me.</p> <p> &nbsp;</p> <p> &nbsp;</p> <p> <strong>Thierry L&eacute;v&ecirc;que</strong></p>