Soutenez les Lettres peintes versaillaises par Régis

De sous mon banc,   Ah ! Mes amis, mes bons amis, il faut que je vous dise. J’ai décidé il y a longtemps, si longtemps, de vivre sous mon banc.   Pas par misanthropie, non, mais dessous mon banc, mes bottes dans les sablons, regarder le monde entier, défiler à pas charmés dans l’allée du Roy.   Le logis n’est pas grand, son tablier de marbre, les soirs de froids, me protège des flux de poitrine. Mais quel ciel de lit ! L’univers en brocards !   La tête posée, sur mon tricorne retourné, dans les feuilles tombées des grands platanes, je vois le firmament, les nuits de clarté.   Personne ne me voit, je suis une ombre portée, par le soucis de me faire oublier. Je suis une âme, posée ainsi en travers, entre Junon et Pan.   Je ne suis pas à plaindre, J’ai choisi cette vie, Et depuis ces siècles En ai-je vu des bottes passer, des chaussons de satin, des escarpins, et même les sabots, des jardiniers.   Quand j’ai faim, tout est simple, gourmand je vais chiper, des fruits confits, des ailes de poulet, des confitures, dans des vasques dorées sur les tables des marquises, qui tiennent salon, dans les bosquets. Je bois leurs vins, dans le cristal d’Italie, et sans me faire remarquer, j’écoute sarabandes, et forlanes passe-pieds  et menuets, joués joliment mais par ennui, par des musiciens emperruqués.   Les soirs d’été, quand le parc s’est vidé, je m’assieds dessus, mon appartement, contant fleurette, aux dianes et amazones, venues se délasser, à la fraîche de leurs journées figées.   Quelques vieux barbons, viennent aussi se plaindre, que leurs rides, et leurs coulures du temps, ne soient pas restaurées. Alors sentencieux, Un brin condescendant, Je leur dit : -Faites comme moi prétentieux faites-vous oublier !   Alors lassé de ces futilités, Je m’étends dessous mon banc, Ma canne près de moi, pour le dos des importuns. Et je m’endors heureux, Sous le tapage ménager Que mènent les perruches, la haut dans les frondaisons et elles comme moi, étrangères en ces lieux, espèrent que les saisons, porteront toujours, dans le grand parc, ces couleurs d’harmonies.   Ah ! Mes amis, mes bons amis, il faut que je vous dise. J’ai décidé il y a longtemps, si longtemps, de vivre sous mon banc. Pour vous écrire, au jour, le jour, comme jaillissent les fontaines, ma prose d’amitié.   Régis GOURDON - Lettres Peintes - Septembre 2015

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