Les animaux ont la priorité

Avant l'âge d'or du cinéma, il y eut l'âge de déraison

Project visual Les animaux ont la priorité
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06/06/2019
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The publications

<p>Le samedi 16 novembre de 17h30 à 19h, je présenterai le roman à la bibliothèque de Vaugines (84), sous les auspices de Jocelyne. Au programme: lecture, discussion, quizz et apéro. Evénement gratuit. Places limitées.</p>
<p>Le jeudi 7 novembre, de midi à 14h, je présenterai le roman à la bibliothèque universitaire de la faculté de Saint-Jérôme, à Marseille. Au programme: lecture d'extraits, discussion et quizz cinéma.</p>
Après l'ère des pionniers et avant l'Âge d'Or, le cinéma a connu un âge de déraison... Hollywood, 20 novembre 1924 : qui a tué le producteur Thomas Harper Ince ? <strong>Alfred BOUDRY présentera le polar</strong> <strong>LES ANIMAUX ONT LA PRIORITÉ</strong> <strong>co-écrit avec Emily R. Bloodrun</strong> <strong>le samedi 1er juin à 11 heures</strong> cour de l'Hôtel de Châteaurenard, Bureau d'Information de la Culture, 19 rue Gaston de Saporta, Aix-en-Provence (présentation et lecture d'un extrait : une heure - entrée libre) <em>Evénement en partenariat avec la librairie Le Blason.</em>
<p>Alfred BOUDRY : Emily, bonjour. Parlez-nous de l'affaire Thomas Ince.</p> <p>Emily R. BLOODRUN : Il faut commencer par dire que l’affaire Thomas Ince n’a jamais été « résolue ». Je mets ce terme entre guillemets parce qu’il n’en existe aucun qui permettrait de signifier exactement ce que je veux dire par là. Ce qui est sûr, c’est que la mort de Thomas Ince - aussi bizarre qu'elle fût - ne constitue pas une affaire criminelle au sens juridique du terme. Comme le dirait un juriste américain : trop de preuves circonstancielles + pas assez de preuves tangibles = pas de quoi faire un procès. Même si on découvrait aujourd’hui un indice ou un témoignage d’une solidité à toute épreuve, l’enquête ne serait pas rouverte. Bref, les amateurs de <em>thrillers</em> classiques risquent d'être déçus ; je recommande plutôt cette histoire aux amateurs de <em>Columbo</em>.</p> <p>AB : Voilà qui est clair. Racontez-nous comment s'est écrit <em>Les Animaux ont la Priorité</em>.</p> <p>ERB : <em>Les Animaux</em>.. est le résultat d’une configuration rare, peut-être unique dans l’histoire de la lutte contre le crime. Sam Gettys et Lena Suschitsky, détectives privés à Los Angeles durant quatre décennies, tenaient chacun un journal détaillé de leurs affaires. Ils le firent durant toute leur vie professionnelle, avec quelques accalmies, notamment durant la Deuxième guerre mondiale. Cette pratique présentait des inconvénients. Par exemple, le temps qu’elle nécessitait pour rédiger les entrées n’était pas disponible pour d’autres affaires. Autant dire que l’agence Essenji n’est jamais devenu une « super » agence de détectives. Ils triaient leurs clients sur le volet et pratiquaient des tarifs raisonnables, simplement indexés sur le coût de la vie. Ils ont souvent travaillé <em>pro bono</em>. En près de quarante ans de carrière, Gettys et Suschitsky n’ont traité que mille-deux-cent-neuf affaires. C’est relativement peu. La plupart n’étaient que de banales affaires matrimoniales. Une minorité de leurs enquêtes proprement « criminelles » est restée sans solution satisfaisante. La mort d’Ince en fait partie ; la quantité incroyable de mensonges et d’erreurs qui émaillent cette dernière sème largement le doute.</p> <p>AB : Comment pouvez-vous savoir tout cela ?</p> <p>ERB : Il se trouve que j’ai en ma possession les quelque cinq mille carnets qui relatent les enquêtes menées par l’agence Essenji. Il était périlleux d’écrire ces carnets. Quiconque en aurait trouvé ne serait-ce qu’un seul aurait eu accès à des informations intimes, en plus du fait que la carrière de Suschitsky et de Gettys aurait été inquiétée. Ce qu’ils savaient fatalement ; ils en ont assumé les risques pendant quarante ans. Il va de soi que les détectives n’ont pas pour habitude de consigner leurs enquêtes au fur et à mesure ; ils ne le font qu’en fin de procédure, pour un rapport confidentiel transmis au commanditaire et aussitôt archivé, mis sous clé et protégé par le secret professionnel. Le fait qu’aucun des carnets n’ait jamais été découvert pendant leurs quarante années d’exercice et les vingt années suivantes prouve que Suschitsky et Gettys avaient mis au point une cachette infaillible.</p> <p>AB : Alors, comment les avez-vous trouvés ?</p> <p>ERB : Oh, ce n'est pas moi qui l'ai fait. Ils étaient dans une cantine qui faisait partie d'une grosse donation à la Bibliothèque du Congrès US, où j'étais archiviste. À la suite d'une erreur administrative, il m'a été impossible de savoir d'où et de qui provenait cette malle. Le plus probable est qu'elle ait été donnée par un descendant de Gettys ou Suschitsky. Mais nous ne le saurons sans doute jamais.</p> <p>AB : Mmh.. Venons-en à l'écriture elle-même du roman : comment se fait-il qu'il se soit écoulé près d'un siècle entre les faits et leur relation ?</p> <p>ERB : L’écriture du récit a été longue et douloureuse, ce qui fera plaisir aux partisans de l’art par la souffrance. Elle a nécessité plusieurs étapes, étalées dans le temps. La découverte elle-même des carnets remonte à la fin des années 1970 ; à l’époque, je n’étais pas encore à la retraite, et trier cinq mille carnets manuscrits me paraissait non seulement au-dessus de mes forces mais meurtrier pour mon emploi du temps. Je me suis donc contentée de les laisser où ils étaient. Ce n’est qu’à partir du milieu des années 1980 que j’ai enfin pu m’y consacrer. Heureusement, Lena Suschitsky avait effectué un travail de pré-classement qui m’a permis de trouver mon chemin dans ce labyrinthe de papier. C’est ainsi que j’ai pu isoler trois « grandes affaires », autant de périodes clés, tandis que le reste (les trois quarts des carnets) tombait dans la catégorie « affaires courantes ou de peu d’intérêt ». Ensuite, il a fallu transcrire ce que les carnets et les lettres contenaient et l’entrer dans un ordinateur personnel. Tous les gens qui ont dû retranscrire de l’écriture manuscrite savent que c’est loin d’être chose facile. Il faut, pour y parvenir, établir une relation intime avec l’auteur. Pour Lena, ce fut assez simple ; elle utilisait soit une écriture normale très claire, soit une sorte de sténographie proche des formes standards. Par contre, en ce qui concerne Sam, j’avoue avoir eu un mal de chien. C’est ce qui explique que la transcription des cent-cinquante-six carnets et lettres recouvrant l’affaire Thomas Ince m’ait pris plus de dix ans. Une fois cette tâche accomplie, un éditeur (britannique) a eu l’obligeance (et le courage insensé) de m’indiquer que le résultat n’était vraiment pas publiable, ni même présentable. Pire encore, toute fière de mon expérience d’archiviste, je n’avais pu m’empêcher d’affubler le texte d’un nombre de notes en bas de page absolument déraisonnable (plus de trois mille, j’en ai peur). Le résultat n’était ni chair ni poisson, ni roman ni essai, ni correspondance ni récit, ni polar ni biographie.. Ce n’était qu’un texte brut et indigeste, un fantasme d’archivistes qui ne pouvait intéresser que d’autres archivistes, ce qui fait un peu léger, comme public, d'un point de vue commercial. Découragée, je compris que je n’en ferais jamais rien et rangeai mon manuscrit afin qu'il s'endorme à tout jamais. Peu après, je déménageai pour le sud de la France, dans l’Hérault, où j’avais décidé de passer ma retraite dans une petite maison de village, avec l’intention de la laisser en héritage à mes enfants.</p> <p>AB : Mais ce n'est pas ce qui s'est passé. Heureusement ou malheureusement ?</p> <p>ERB : À vous de décider. C’était compter sans cette chose burlesque qu’est le Destin. L’inaction me pesant, je m’inscrivis en 2005 à un atelier d’écriture créative se tenant à Montpellier dans une librairie-salon-de-thé de la rue du Bras-de-Fer. C’est là que je vous ai rencontré, puisque vous en étiez l'animateur. À mon esprit défendant, vous avez « ressuscité » Thomas Ince.</p> <p>AB : Aïe ! On va croire que j'ai cherché à fonder une secte..</p> <p>ERB : Ne dites pas de bêtise. Cela ne s'est pas fait en un jour ; il a d’abord fallu participer au projet de <a href="https://www.l-atalante.com/catalogue/la-dentelle-du-cygne/la-bibliotheque-nomedienne-9782841724437/" target="_blank"><em>La Bibliothèque nomédienne</em></a>, que vous meniez avec les Gaillards d’avant, dont je faisais partie occasionnellement ; ma contribution n’a finalement pas été retenue par l’éditeur L’Atalante lors de la publication du recueil en 2008, et voilà pour mes talents d’écriture !</p> <p>AB : Vous êtes dure avec vous-même..</p> <p>EB : Bah ! Un jour, alors que nous nous promenions dans les rues de Pézenas, vous m'avez convaincue de vous parler de mon projet enterré, que j’avais seulement évoqué en me présentant lors des ateliers. J’estime avoir commis là l’erreur la moins regrettable de ma vie.</p> <p>AB : Euh.. Merci ?</p> <p>ERB : Évidemment. À compter de ce jour, vous ne m'avez plus laissée tranquille. Chaque semaine par Internet, chaque mois par courrier postal, chaque trimestre en venant me voir, vous m'avez fait littéralement accoucher de ce livre. Vous avez trouvé sa forme définitive..</p> <p>AB : Disons que je vous l'ai faite trouver.</p> <p>ERB : ..et vous l’avez traduit au fur et à mesure. Un travail titanesque qui a pris dix autres années. Ce qui explique qu’il paraisse aujourd’hui en français avant de voir le jour en anglais. Petit détail dont vos lecteurs ferez ce que vous voudrez : je souhaitais que <em>Les animaux ont la priorité</em> (c’est vous qui avez trouvé la titre ; le mien était <em>Le producteur</em>, trop froid et pas assez au goût du jour, paraît-il) soit publié à titre posthume. Mais vous avez eu cette phrase.. Comment avez-vous dit, déjà ?</p> <p>AB : « Voyons, Emily, vous nous enterrerez tous ! Si on respecte votre volonté, je ne le lirai jamais sous forme de bouquin. »</p> <p>ERB : Mon dieu ! Comment peut-on souhaiter de vivre plus longtemps encore à quelqu'un qui a déjà atteint les 93 ans ? La chose m'échappe. Enfin !</p> <p>AB : L’enquête sur Thomas Harper Ince fait donc partie de celles qui n’ont jamais été clairement résolues, tout comme celles de William Desmond Taylor, Martha Mansfield, Paul Bern et Dorothy Millette, pour n’en citer qu’une poignée. À quoi il conviendrait d’ajouter toutes celles qui n’ont jamais été ne serait-ce que <em>soupçonnées</em> d’être des affaires criminelles.</p> <p>ERB : Vous n'allez pas vous mettre à faire l'apologie des tueurs en série, vous aussi ? Quelle mode regrettable !</p> <p>AB : Ne vous inquiétez pas pour ça, c'est pas demain la veille ! Le mot de la fin ?</p> <p>ERB : Eh bien, il n’est pas certain que notre roman à quatre mains reflète la vérité. Si des preuves existaient, elles n’accompagnaient pas les carnets de Lena et Sam. Nous n’avons que leur version des faits. C’est leur vérité à eux. Il faudra que les lecteurs fassent avec.</p> <p>AB : Merci, Emily.</p> <p><em>Propos recueillis le 1er mai 2019 et traduits par AB.</em></p>