J'VEUX PAS RENTRER
Corridor Eléphant propose une collection de livres papier en édition limitée, numérotée et signée. Ces livres sont disponibles dans sa librairie en ligne. La maquette, l’impression et le choix du papier sont réfléchis avec l'auteur afin que l’ouvrage corresponde avec le plus de justesse possible à son travail travail. Le livre du collectif, La Résistance Artistique du Huit Quatorze Double Zéro sera imprimé sur un papier semi-mat 170 g. Édition limitée, numérotée, signée par le collectif et certifiée par un cachet à froid. 15x21 cm (format cahier), 55 photographies. 84 pages. Qui a dit : « On n’est jamais aussi bien protégé qu’une fois mis à nu », ou encore que « Le meilleur reste toujours à venir » ? Il est question de nudité, de liberté peut-être d’anarchie dans son sens premier, celui presque oublié. Au-delà de ce recueil, il y a dans les travaux menés par La Résistance Artistique du Huit Quatorze Double Zéro, un pan de dérision levé sur nos sociétés dites modernes et leurs actorats inconscients ou aveugles. INTERVIEW DU COLLECTIF Pourquoi ce travail ? Pourquoi le nu ? Ce travail a commencé le dix-sept mars 2020, le premier jour du premier confinement. La veille, nous quatre (Tara, Mu, Cha et WTF) apprenions, par notre entourage, l’annonce de la guerre. Contrairement aux gens branchés sur l’info en continu, nous n’avons ainsi pas été victimes de la technique de choc mise en place par le gouvernement, il nous était donc assez facile de trouver une réponse artistique et concrète à cette déclaration de guerre. Mais ne vous y trompez pas, nous ne sommes pas de ceux qui nient l’existence de cette maladie, nous sommes de ceux qui pensent que dans ce genre de situation, toutes les compétences, les bonnes volontés et les idées de nos concitoyens doivent être entendues et mises au profit de la protection, de l’écoute, de l’accompagnement des plus fragiles, et des autres. Au lieu de cela, la peur comme arme de défiance ; et quand on a peur, notre cerveau disjoncte, panique, plus moyen de prendre une décision rationnelle. Il nous était donc évident que le but de ces manœuvres n’était pas de sauver des vies. La suite de gestion de cette crise nous a donné raison, on ne ferme pas des lits en pleine pandémie. Quant au nu, il s’est naturellement imposé pour montrer la fragilité de notre condition pendant cette période : littéralement le dénuement, nous étions complètement dépossédés de tout moyen de lutter dans une société à l’arrêt à coups de « restez chez vous ! », à poil, figés, inexpressifs comme sur nos photos. Comment et pourquoi s’est constitué le collectif ? Tout d’abord, pendant le premier confinement, nous étions tous les quatre plutôt comme une résidence, un huis clos artistique. Bien que notre travail soit un travail de résistance, le nom de Résistance Artistique du Huit Quatorze Double Zéro n’est apparu que plus tard, lors du deuxième confinement où nous avons, avec neuf autres artistes, réalisé un festival d’affichage sauvage nommé T’as voulu voir Carmaux, soit au total plus d’une centaine d’affiches dans et autour de la ville. J’veux pas rentrer représente les prémices de ce qui deviendra plus tard la Résistance Artistique du Huit Quatorze Double Zéro. Comment fonctionne le collectif ? La Résistance n’est pas un collectif, c’est un art de vivre, un phare dans la nuit pour tous ceux qui se perdent ou se sentent opprimés par le totalitarisme. Il n’y a pas de chef, on a l’habitude de dire que ce n’est mené par personne, je ne sais pas, et Jean Jaurès. Il n’y a pas non plus de fichier des membres, même s’il existe une carte de résistant, c’est vrai, mais il faut voir cela plutôt comme une preuve de désaccord avec la gestion de cette crise. Le seul et unique combat de la Résistance Artistique du Huit Quatorze Double Zéro est de lutter contre la distanciation sociale entre art et public, et entre artistes et supports. Si vous faites, ou si vous aidez à la création d’une audace artistique dans le Carmausin, vous êtes, par le fait, membre de la Résistance Artistique du Huit Quatorze Double Zéro. S’il fallait un chiffre pour bien comprendre l’ampleur de ce mouvement, nous pouvons dire que nous sommes plus d’une centaine de membres plus ou moins actifs. Qui a effectué les prises de vues ? Un peu au hasard, en fait, les photographes sont souvent les modèles et vice versa. Sur certaines prises, moins risquées, on peut même en avoir pris à tour de rôle, pour à la fin choisir la meilleure photo. Mais la plupart du temps c’est celui qui ne pose pas qui shoote. Il faut bien se souvenir qu’à l’époque, se déplacer à plus de deux était considéré comme suspect, du coup nous n’étions pas toujours tous présents sur les shoots. Cela dépendait de la position géographique du lieu, de son degré de dangerosité, et aussi des disponibilités de certains d’entre nous, ceux étiquetés comme essentiels sur le front. La seule chose qui comptait vraiment, c’était une photo par jour. Quelles en ont été les conditions ? Tout ça nous avait totalement pris par surprise, alors il a fallu se montrer plus imaginatifs pour déjouer les contraintes, et comme on dit : « De la contrainte naît la Liberté ». La première photo, le dix-sept mars, a été prise dans la rue devant l’habitation de deux d’entre nous. Ensuite, il n’était pas certain que nous puissions trouver assez de masques. Quand tout a commencé, il n’existait pas de date claire de sortie du confinement. Seuls les produits dits essentiels étaient autorisés à la vente, pas de magasins, pas de brocantes, pas d’accès à la matière première. C’était même, dans certains endroits, difficiles pour les femmes d’acheter des tampons sans subir des remontrances voire des amendes de la police. On a fait le tour de tout notre stock de bidules et d’autres machins « qui peuvent toujours servir » et nous nous sommes empressés de les empiler sur la table. Finalement, tout pouvait servir, de l’abat-jour de la tata Simone jusqu’au sac de litière du chat… Et il a quand même fallu se faire prêter certains masques par nos proches (merci, les amis) pour avoir la totalité nécessaire. Les conditions des prises de vues, par contre, ont nécessité beaucoup plus de travail en amont. L’organisation des shoots relevait plus de l’opération commando chronométrée avec repérage du lieu en « présentiel », chaque fois que l’on pouvait justifier d’un déplacement, ou depuis un satellite grâce à divers sites de Street View. L’organisation de la photo du 17 avril a longtemps été débattue. À l’origine, elle était prévue devant le commissariat ou devant une voiture de police, avec l’impératif qu’elle soit prise le 17... Au final, à cause des nombreuses caméras de surveillance qui, on l’avoue, étaient judicieusement placées, nous avons finalement opté pour une photo moins dangereuse sous le panneau au bout de la rue. Quel est votre meilleur souvenir sur ce travail ? Il nous semble que les meilleurs souvenirs sont les retours de shooting, quand tout s’est bien passé, quand la photo nous parle et quand personne n’a été arrêté, verbalisé. Le « c’est bon, une de plus, allez avec un peu de chance il n’en reste plus que huit. Ah merde, il a dit un mois de plus, alors plus que trente-huit ! ». Et la pire ? On peut vous raconter l’histoire de celle qui nous a coûté le plus cher, celle de Pâques, le 11 avril. À la base, le plan était réglé comme du papier à musique, trois modèles plus le photographe, ça fait quatre, on part à deux voitures, deux par voiture. Le lieu de tournage était le parking de Cap’Découverte, un parc de loisirs construit sur une ancienne mine à ciel ouvert. L’endroit est doté de caméras de surveillance. Du coup, on prévoit de se garer cinquante mètres avant l’entrée et de transférer tout le monde dans un seul véhicule, de manière à ne pas trop inquiéter les éventuels vigiles qui verraient, depuis leurs écrans, passer un convoi sur le parking. La photo se passe bien. Tout le monde remonte en voiture direction la sortie, quand, au rond-point, passe en même temps que nous, la gendarmerie. Les regards se croisent. Trop tard, gyrophare. Après une bonne dizaine de minutes de remontrances agressives sur notre comportement hautement irresponsable d’être quatre dans un même véhicule – rappelons que notre infirmière, qui affronte la pandémie en sac poubelle, est assise à l’arrière sur ses oreilles de lapin –, nous avons écopé de deux amendes de cent trente-cinq euros. Pourquoi deux au lieu de quatre, cela restera, même pour nous, un mystère. Mais le plus dur aura été, sans nul doute, les conditions du confinement telles que le gouvernement les avait volontairement créées : anxiogènes, les gens poussés à la délation sanitaire, « allo le commissariat, il y a des enfants qui jouent au ballon sur le parking ! », comme aux pires heures de l’Histoire. La police toute puissante, là aussi volontairement laissée en roue libre, violente, sans aucun contrôle. Durant toute cette période, l’État, a là encore volontairement soufflé en permanence sur les braises de la peur, sans se préoccuper de toutes les personnes complètement abandonnées à la panique. Nous en avons réconforté certaines, comme nous le pouvions, par téléphone, car elles étaient trop épouvantées, trop choquées pour accepter un contact humain direct qui aurait pourtant été salvateur, mais interdit. Pour finir, cette impression continuelle d’un jour qui n’en finit jamais, accentuée par le principe même de notre travail, était vraiment usante. Tous les jours, une photo dehors ; statiques, masqués, à poil, un dimanche sans fin, une fin du monde molle.