L'Art des "Cent titres" by Yves KRIEF

Cela fait de nombreuses années que les galeries qui m'exposent me réclament l'édition d'un ouvrage d'art où l'on retrouverait la quintessence de mes compositions. Maîtrisant les outils informatiques nécessaires à sa réalisation, sa faisabilité n'était pas un problème pour moi. Pourtant, malgré toute ma bonne volonté, ce projet n'a pas pu voir le jour et il m'a bien fallu constater et admettre mon incapacité à m'y atteler. Formé à la Psychanalyse, profession à laquelle je me préparais avant que ma passion pour l'art ne l'emporte, je savais qu'un tel blocage n'était pas anodin. Instinctivement, je résistais. C'était un signe dont je me devais de saisir le signifié, car sans cela, la concrétisation de ce projet aurait très peu de chances d'aboutir. Passé les premières années d'euphorie, période où le simple plaisir de peindre et d'exposer nourrissait mon âme et mon ego, j'ai pris conscience qu'un nombre très limité de personnes percevaient l’existence de ma démarche artistique ou même s'y intéressaient. Pire et en dépit du bon sens, les bases sur lesquelles reposait mon succès ne tisait aucun lien perceptible avec celle-ci et pourtant, c'était bien cette dernière qui en détenait les clefs. Absolument, tout dans mes compositions soulignait sa présence et s'y soumettait. Bien qu'à première vue cela puisse surprendre, mon art pâtissait avant tout de son esthétique. Celle-ci, par son omniprésence masquait l'accès à l'essentiel : le fond. C'est un fait, si l'esthétique a pour avantage de se suffire à elle-même, elle a une fâcheuse tendance à prendre toute la place. Singularité que la plupart des jolis femmes connaissent, leur beauté ayant comme principal défaut de masquer plus ou moins fortement leurs compétences. C'est la raison pour laquelle la réalisation de mon livre se faisait attendre, ce dernier ne pouvait être un banal ouvrage dédié à la forme. Agir ainsi aurait été antinomique avec mon désir de dévoiler, l'essence de mes œuvres, leur plus grande richesse : le fond. Il faut garder à l'esprit que si dans la conception de mes oeuvres le contenant est indispensable, il n'est là qu'en soutien du contenu, c'est son écrin... C'est à la suite d'une longue période de maturation, fruit de nombreuses années de frustrations que ce projet de théorisation fût initié. L'importante charge de travail afférente à sa réalisation, m'a poussé à m'extraire du monde et à m'isoler durant quelques années. Période passionnante de recherches et de découvertes qui m'a permis de formaliser et de théoriser ma démarche dans un essai intitulé l'Art des « Cent titres ». Dans cet ouvrage, je vous transmets l'ensemble de mes connaissances acquises au fil des ans. Mes différentes découvertes, déductions, analyses, mais aussi mes doutes, mes craintes et mes espoirs. Mais avant tout, je vous ouvre l'esprit à la philosophie qui anime ce nouveau courant d'Art en devenir, afin qu'il puisse acquérir un jour et si possible de mon vivant, la juste reconnaissance qu'il mérite. Dans la première partie de cet essai, j'opère ce que j'appelle l'« auto-psy » (homophone « d'autopsie » ), de deux compositions représentatives de l'Art des « Cent titres ». Dans celles-ci, j'explique le mécanisme et décortique le fonctionnement de mes oeuvres et ce dans leurs moindres détails. Ce n'est pas un euphémisme, car dans un « Cent titres » tous les éléments ou objets qui composent l'œuvre ont à minima une raison d'être et représentent, pris individuellement, les pièces d'un bien plus vaste puzzle où chacun apporte sa pierre à l'édifice afin de sublimer et de se sublimer dans le tout. Dans une œuvre « Cent titres », comme dans toute œuvre d'art digne de ce nom, le tout est toujours supérieur à la somme des éléments qui le composent. La deuxième partie est intégralement consacrée à la théorisation de mon art, c'est celle qui me tient le plus à cœur. Dans cette dernière, j'expose ma démarche artistique et sa philosophie, je pose les bases sémantiques, les principes et les règles spécifiques qui caractérisent, encadrent et collaborent à la réalisation d'une œuvre « Cent titres ». C'est sans doute la partie la plus technique, mais aussi la plus pertinente et enrichissante de cet ouvrage. Elle est fondatrice et offrira je l'espère à mes compositions, leurs lettres de noblesse. Le fond enfin exposé, j'ai pu me consacrer sans réserve à la forme. À cette fin j'ai inclus, en format pleine page, 163 reproductions d’œuvres minutieusement sélectionnées et 263 gros plans de celles-ci, à seule fin de vous permettre d'apprécier certains détails discrets mais essentiels qui participent au bon fonctionnement de mes compositions. Avant de devenir artiste, ma vie, bien qu’agréable, n’avait que peu de sens. Comme d’autres, sans jamais penser à nourrir mon âme, je thésaurisais et j’accumulais. Il y en a qui ont la chance de rencontrer leur âme-sœur et vivent un grand amour, moi, j’ai rencontré l’art. Passion dévorante qui m’a marginalisé, mais continue de me nourrir et de nourrir mon âme. Je ne connais pas l’avenir et n’ai aucune certitude, pourtant, j’ai l’étrange sentiment d’avoir accompli à travers ce travail de transmission et de vérité, ma destinée. Quoi qu’il en soit, quoi qu’il m’advienne et quoi qu’il en advienne, la cause est entendue... « Ite, missa est ».