RÉSURGENCE, album de Marcel Cara (harpiste)

Chers amis, depuis plusieurs années mûrissait en moi l'idée d'enregistrer ce programme qui me tenait particulièrement à cœur. Les trois pièces de Claude Debussy sont en quelque sorte "la pierre angulaire" de ce projet de récital, car s'agit des premières œuvres du maître de la musique française que j'ai travaillées lorsque j'étais encore étudiant. Il s'agit de mon compositeur préféré et sans doute celui qui m'a fait choisir la harpe avec sa Sonate en trio, que j’ai dû entendre à l’âge de six ans. Je ne pouvais pas envisager un premier album solo sans sa présence. Le programme proposé dans ce disque est ainsi l’aboutissement d’un rêve personnel. En effet, j’ai voulu réunir, au sein d’un même enregistrement, des œuvres de Claude Debussy, l’inventeur de la modernité musicale du XXe siècle, et des œuvres de certains de ses contemporains. Le siècle de Debussy est le siècle le plus marquant pour la harpe, l’instrument de Joséphine et de Madame de Genlis, dans l’Histoire de la musique. Dès le milieu du XIXe siècle, des virtuoses tels qu’Albert Zabel ou Elias Parish-Alvars avaient déjà composé des œuvres concertantes pour la harpe, sans toutefois parvenir à susciter l’intérêt des autres compositeurs. L’invention du système à double mouvement par Sébastien Érard en 1811 a été une véritable révolution qui engendra une rivalité avec son homologue Ignace Pleyel et sa harpe chromatique sans pédales, rapidement abandonnée. L’innovation d’Érard favorisera la création de nombreux chefs-d’œuvre à l’orée du XXe siècle comme la Sonate en trio et les Danses sacrée et profane de Debussy, écrites pour harpe chromatique mais arrangées par la suite par Henriette Renié pour l’instrument d’Érard, ainsi que l’Introduction et Allegro de Maurice Ravel. La harpe perd alors sa place d’instrument de « salon » et se hisse au-devant de la scène comme instrument soliste. Cette évolution, d’abord française, se poursuivra au-delà des frontières pour permettre à Paul Hindemith, Ernst Krenek, Alberto Ginastera et Elliot Carter d’enrichir l’édifice littéraire de la harpe. C’est donc au XXe siècle que la harpe trouve son expression la plus « pure » et la plus complète grâce à des compositeurs recherchant une forme d’idéal sonore qui évoquerait mystère et liberté. La harpe, dès la Belle Époque, n’était-elle pas le meilleur instrument pour incarner cet idéal ? Dans ce disque, j’ai désiré élargir mon répertoire en m’inspirant des enregistrements mythiques de Maurizio Pollini, Zoltán Kocsis et Jean-Efflam Bavouzet qui m’accompagnent dans ma vie de musicien. Les trois arrangements que j’ai réalisés des pièces pour piano de Debussy s’appuient sur mes différentes expériences de concerts. Hommage à Rameau porte en lui une référence au passé, avec des réminiscences de musique grégorienne et de choral d’orgue. La Plus que lente, valse tout empreinte à la fois de rigueur et de liberté exige un regard plus « orchestral » sur l’œuvre de l’auteur de Pelléas et Mélisande. Le sentiment de liberté et l’imaginaire parfumé de la Soirée dans Grenade entrent en dialogue avec l’imaginaire et le rêve archaïque présents dans les Deux impromptus de l’officier de marine et compositeur Jean Cras. La très belle Sonatine, Op. 30 de Marcel Tournier, écrite pendant l’entre-deux-guerres dans un langage idiomatique de son temps, mêle rêverie et nostalgie passionnée. Cette œuvre précède la mélancolie post-romantique de la Châtelaine en sa tour de Gabriel Fauré. Le Prélude d’André Jolivet datant de 1965, considéré par le compositeur comme un « bis » de son Concerto pour harpe écrit 13 ans auparavant, distille une atmosphère de tranquillité, développe un dessin mélodique inspiré des polyphonistes du XVIe siècle. Grand admirateur de Béla Bartók, Arnold Schoenberg, et Edgard Varèse, Jolivet participe à l’évolution de l’écriture moderne pour la harpe en bouleversant le travail de la matière sonore. Tocar, œuvre de Bruno Mantovani écrite en 2007, présente les qualités qui permettent d’utiliser l’instrument de façon plus « percussive » comme Pierre Boulez l’avait déjà osé auparavant. Tout comme dans Streets ou dans le Quintette pour Bertolt Brecht du même compositeur, la variété des timbres et des dynamiques prédomine et tous les registres de l’instrument sont exploités, jouant en permanence sur les résonances et plongeant ainsi l’auditeur dans un monde sombre et inquiétant. L’extrait de « Lyra Scenes », petite mosaïque en forme de haïku de Takashi Yoshimatsu referme ce programme. Il s’agit d’un dialogue entre la nature et les oiseaux dont l’écriture, cette fois simplifiée, peut évoquer les instruments traditionnels japonais qui l’ont inspirée autant que le sérialisme et la musique rock. « Solitude Après le feu d’artifice Une étoile filante » — Masaoka Shiki Marcel Cara Un tel projet n'aurait pu se faire sans le soutien de toutes les personnes qui m'ont encouragé et ont permis l’aboutissement de ce rêve. Je les en remercie du fond du cœur. Mon plus vif souhait serait de vous faire découvrir, s’il en était besoin, et apprécier ce magnifique instrument qu’est la harpe, mis au service des plus belles partitions du patrimoine musical.

Label : Paraty Directeur du label / Producer : Bruno Procopio Prise de son / Sound : Morgane Danan Montage, mixage et mastering / Editing, mixing and mastering : Morgane Danan Direction artistique / Artistic direction : Dominique Demogeot Création graphique / Graphic design : Antoine Vivier Textes / Liner notes : Marcel Cara Traduction / Translation : Antoine Cara Photographe / Photography : © Mai Toyama 2024 Instrument : Harpe Camac