“Médée et Médias”

Notre mise en scène contemporaine de Médée aura lieu sous la forme d’une émission de télé réalité qui laissera voir le personnage de Médée comme une star d’aujourd’hui, emprisonné par le culte de la célébrité. Le tout sera vu à travers la lentille de notre monde devenant de plus en plus public, et affichant l’exhibitionnisme et le voyeurisme.

Aujourd’hui sur Youtube, Facebook, Twitter, sur le web, à travers les programmes de télé réalité, par le culte de la célébrité, et plus encore, il me paraît assez clair que nous vivons en public. De plus, nous sommes de plus en plus intéressés par la vie privée d'autres personnes via les nouvelles ou les réseaux sociaux.

Comment ce mélange constant du public et du privé nous change-t-il, nous atteint?
Pourquoi mettons-nous nos vies intimes en publique, et pourquoi sommes-nous tellement obsédés par regarder la vie des autres?
Ainsi, que faisons-nous de notre complicité tacite en tant que voyeurs passifs, témoins des moments profondément personnels, ou parfois de crimes horribles même, par l'intermédiaire de ces médias? Souvent la réponse est de ne rien faire... Se contenter de regarder, de s’informer ou de poster un message sur Facebook, ou ailleurs ?

La tragédie de Médée est multiple.
Elle est une exilée désespérée coincée à Corinthe, qui de plus a trahi sa propre famille pour aider Jason, son homme, qui a fini par la trahir. Pour les femmes de Corinthe dans la forme du chœur féminin, elle est l'autre, l’étrangère, la femme passionnée, exotique, léséé par son homme, et poussée au point d’en arriver au meurtre de son propre sang.
Elle donne la parole à la rage contre l'injustice, au nom de toutes les femmes maltraitées, lésées et qui souffrent.
La nièce de Circé, et la petite-fille du dieu Helios, Médée est divinement capable d’exprimer ses sentiments et d’agir contre l'injustice alors que les femmes de Corinthe/Le Chœur ne peuvent point. Ce qui explique peut-être pourquoi leurs conscience est constamment occupée par Médée.
Cette dernière a un degré d’habilité à recourir à la violence forcée par les circonstances et ses sentiments plus que par la raison.

Il n'est pas surprenant que ce personnage créé par Euripide, l’auteur masculin, écrit pour un public d'hommes, soit néanmoins devenu un puissant symbole de la souffrance des femmes, c'est pourquoi cette pièce classique est devenue un navire très puissant pour explorer les rôles des femmes et des questions feministes.

Mais la tragédie est en effet à plusieurs niveaux: non seulement Médée tue ses propres enfants, mais elle informe à plusieurs reprises le chœur, et donc le public, qu'elle va le faire. Comme le Choeur, nous, le public sommes au courant de ses intentions avant le fait accompli.
Pourtant, nous continuons à regarder. Nous sommes des voyeurs de l'intimité et de la violence des autres. C'est un autre niveau de la tragédie.

Le théâtre est un reflet de la société qui le crée. Et aujourd'hui, nous vivons encore dans un monde où les femmes et les hommes agissent malgrè les conséquences et se font du mal les uns aux autres et parfois même tuent leurs enfants.
Comment je le sais? Je le vois à la télévision, et lis à ces sujets sur Internet et dans les nouvelles. L'infanticide de Médée résonne maintenant comme il l'a fait alors. Qu'est-ce qui pousse quelqu'un à ce niveau de violence bestiale? L'infanticide est encore une partie indicible horrible de notre monde.

Mais peut-être pas si indicible. Dans le monde qui nous a apporté les télés-réalités comme “Loft Story” ou le “Bachelor”, dans un monde où un homme peut tuer sa femme et poster des images sur Facebook, dans un monde où il est possible de suivre quelques procès pour meurtre ou même commencer des révolutions sur Twitter, tout devient une partie du domaine public. Tout est public. Nous vivons en public. Comment cela nous influence-t-il et nous touche? Quelle est la responsabilité, le cas échéant, que nous avons en tant que voyeurs?

Pas une semaine, peut-être même pas un jour passe sans qu’il n’y ait la représentation ou la description d'un acte réel de violence qui nous est offert à la télévision, ou sur Internet.
Pas un jour ne passe sans que nous ne soyons exposés lorsque nous ne regardons pas la violence réelle ou implicite à travers les images.

Dans cet esprit, notre plateau de théâtre est un studio de télévision, avec des caméras. Toutes les scènes sont filmées et retransmises en direct sur un écran pour le public, ainsi que d'autres images pour soutenir et renversser l'intrigue.
Notre Choeur est une productrice de nouvelles télévisées, une journaliste. Comme Marilyn Monroe, comme Madonna et tant d'autres, notre Médée est une star des temps modernes, mais Médée a sa propre émission de télé-réalité. Chaque personnage fait sa performance à l'intérieur du show télévisé. Parfois, ils sont conscients de la caméra, d’autres fois ils l'oublient, parfois, ils essaient de la manipuler, ainsi que d'être manipulés par elle, le tout dans une spirale infernale qui mène à la catastrophe et au meurtre.

Nous pensons que cette pièce doit parler au public d'aujourd'hui, dans notre monde d’aujourd'hui. C'est une histoire horrible qui est aussi un moyen d’évasion, de plaisir, de distraction et de réjouissance.
Le cadre est contemporain. Il est ici et maintenant. Le style est rugueux et parfois kitsch et ironique. C'est toujours une tragédie, mais certains moments horribles les plus exposés sont plus acceptables par l'humour. Médée essaie de contrôler les médias, son orgueil se trouve dans le fait qu'elle pense qu'elle peut manipuler les médias et rester indemne.

Chris Mack