250_Ko, le livre

L'objet, icône des technologies des années 2000 En 2000, Nokia lance la commercialisation d’un téléphone qui deviendra l’un des modèles les plus vendus et célèbres au monde : le 3310. Réputé indestructible, il devient une dizaine d’années plus tard l’icône de la technologie de ces années-là. Il y a quatre ans, la marque réédite une version de ce mobile plus ergonomique, contemporaine, incluant un accès limité à internet et même un appareil photo. Poussés par la volonté de se déconnecter des technologies de pointe et de la dépendance à ces dernières, Luke et Lena acquièrent tout deux la version rééditée du Nokia 3310. Ce recul technologique réduit leur usage du téléphone à deux fonctions simples : communiquer et capturer des images. Des images basse qualité Les caractéristiques de l’image produite par le 3310 opèrent vite sur les deux artistes une certaine fascination : images de basse qualité, pixellisation, grain, surexposition, latence d’enregistrement, usure rapide de l’objectif. La simplicité du téléphone et l’impossibilité de traiter ces images engendrent une liberté précieuse — pas celle du contrôle totale de tous les paramètres mais celle débridée de l’aléatoire et de la spontanéité. Jouant de l’absence de profondeur de champ des images, de leur caractère trouble, saturé, trop ou trop peu contrasté, sous ou surexposé, elles créent des textures inattendues, des formes et couleurs incompréhensibles… En faisant le choix de présenter les photographies dans leur état brut, sans recadrage ni ajustement, le duo d’artiste souhaite exploiter le potentiel des images : une qualité “médiocre” qui accentue leur singularité et leur étrangeté. Documentations alternatives de nos vies, du monde extérieur à l’intime, les photographies capturées entre 2018 et 2021 laissent émerger une série de thèmes divers et des choix esthétiques récurrents : photographies absurdes du quotidien, poétique de la rue et du rebut, paysages flottants et matières indéchiffrables, anecdotes quelque part entre drame, tendresse et uncanny. Le processus de mise en forme du livre relève d’un travail d’assemblage : du tri des milliers d’images à la création de paires, en passant par leur classification colorimétrique afin de concevoir la mise en page. 250_Ko joue des similitudes et différences de compositions, de matières, de formes et d’ambiances, provoquant ainsi un certain chaos photographique, une cadence souvent arythmique qui signale et questionne l’intérêt de ces images de basse qualité. L'enjeu du livre 250_Ko considère le 3310 comme un outil alternatif permettant de s’émanciper du numérique et de ses modes de fonctionnement actuels, un objet-critique fonctionnant à la marge d’outils en accélération constante. Réaliser un livre de photographie à partir de ces images, c’est d’une part utiliser et détourner les productions d’un instrument qui, au départ, n’est pas pensé pour créer un contenu digne d’intérêt, mais c’est aussi questionner les usages possibles d’un téléphone aussi manifestement en retard sur son temps. À l’instar des travaux d’un cinéaste comme Jacques Perconte qui, usant d’une corruption volontaire de ses fichiers vidéos, s’inscrit dans une recherche optique et visuelle pouvant évoquer celle des peintres impressionnistes et post-impressionnistes, Lena et Luke cherchent à user du caractère low-tech de ces appareils pour explorer le potentiel pictural des images produites. Accorder de l’intérêt à ces images c’est en somme poser des questions esthétiques et phénoménologiques d'actualité : quelle est donc la légitimité de ces images de mauvaise qualité ? Comment les recevoir, les regarder, les comprendre ? 250 _Ko cherche à offrir quelques éléments de réponses à ces questions tout en offrant à ces images singulières une manière nouvelle de circuler et de se confronter les unes aux autres. Pour aller plus loin ... Hito Steyerl Caractéristiques du livre Le livre regroupe sous la forme d’une petite bible photographique des images provenant de quatre années d’archives et sera produit en collaboration directe avec le collectif Acédie 58. Il sera composé de 250 images de basse qualité au format 125 x 150 mm.