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Ce lundi 20 juillet, à 20 jours de la fin de la campagne, nous adressons nos plus vifs remerciements à tous les contributeurs.<br />
La somme collectée ayant atteint les 3500 euros requis pour rembourser la presse à épreuves Fag, le surcroît sera utilisé pour acheter des caractères d'imprimerie (neufs ou de deuxième main).<br />
Les photos ci-dessous sont de Julien Marchand.<br />
Et encore une fois, un grand merci à tous !</p>
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Éric Pesty Éditeur
Soutenir et pérenniser un atelier typographique à l’ancienne et l’édition indépendante militante de poésie contemporaine.

Réussi
72
Contributions
10/08/2015
Date de fin
4 035 €
Sur 3 500 €
115 %
Les publications
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<em>De 1976 à 1984, Lyn Hejinian anime Tuumba Press et y publie 50 </em>chapbooks<em>, dont </em>ABC<em> de Ron Silliman, dans lequel figure </em>Albany<em>. Elle décrit son expérience d’éditrice dans un texte que traduit ici Martin Richet. Faut-il ajouter que l’expérience de Tuumba reste pour nous une source d'inspiration privilégiée (</em><a href="http://www.ericpestyediteur.com/gesualdo.htm">http://www.ericpestyediteur.com/gesualdo.htm</a><em>) ?</em></p>
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<img alt="Lhportrait-ges-1436977044" src="https://djxmmoom3injc.cloudfront.net/uploads/project_image/image/218730/LHportrait-GES-1436977044.jpg" /></p>
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Je fondai Tuumba Press en 1976. C’était une aventure en solo en ce que je n’avais pas de partenaire ou d’assistant, mais pas une aventure privée ou solitaire ; j’avais compris que la poésie existe non dans l’isolement (seule sur sa page solitaire) mais en circulation, sous la forme de l’expérience, dans les mondes sociaux des gens. Pour que la poésie existe, il faut lui donner sens, et pour que le sens se développe, il faut que des communautés de gens y pensent. Publier des livres comme je le faisais était une façon de contribuer à une communauté de cet ordre, et même une façon d’aider à l’inventer. L’invention est essentielle à chaque aspect d’une vie d’écriture. Pour apprendre à imprimer, je dus m’inventer un travail chez un imprimeur local. Son atelier était à Willits, petite ville rurale de Californie ; le propriétaire (l’imprimeur, Jim Case) était catégorique, « l’imprimerie c’est pas pour les filles », mais me prit pour le ménage trois après-midi par semaine. Un an plus tard je m’installai à Berkeley, et achetai une vieille presse Chandler & Price grâce aux petites annonces. Je savais faire tourner la presse mais connaissais mal la composition ; des amis (particulièrement Johanna Drucker et Kathy Walkup) m’apprirent les bases et un certain nombre d’astuces. Les onze premiers <em>chapbooks</em> (imprimés à Willits en 1976-1977) étaient d’un format un peu plus large que ceux que je fis moi-même ultérieurement (chez moi à Berkeley). J’utilisais des chutes à Willits, mais achetai du papier à un entrepôt local à Berkeley, en adoptant un format plus économique (occasionnant le moins de perte possible). L’énumération des auteurs des premiers livres montre que pour la première année et demi je cherchais à m’informer de divers modes d’écriture « expérimentale », « innovative » ou d’ « avant-garde », les <em>chapbooks</em> suivants représentant une implication à l’égard d’une communauté particulière : le groupe d’écrivains qu’on dirait plus tard associés au mouvement « Language ». La forme du <em>chapbook</em> m’attirait pour des raisons pratiques évidentes : un livre court impliquait un travail (et un coût) moindre qu’un livre long. Mais il y avait deux autres avantages. Premièrement, la plupart des livres que je publiai étaient des commandes – j’invitais des poètes à me donner un manuscrit à une date convenue (ordinairement de six mois à un an plus tard) – et je ne voulais pas que l’invitation devienne un fardeau. Deuxièmement, je voulais que les livres de Tuumba arrivent sous le mode de la nouvelle, de l’actualité – en ce sens, le terme de « pamphlet » serait sans doute plus approprié que celui de « chapbook ». C’est d’ailleurs pour cette raison que je ne cousais pas les livres, qui étaient tous agrafés, transgression dans le monde de la belle imprimerie mais solution on ne peut plus pratique dans le monde du pamphlet.</p>
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<em>Lyn Hejinian</em></p>
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Extrait de <em>A Secret Location on the Lower East Side : Adventures in Writing, 1960-1980</em>, éd. Steve Clay et Rodney Philips, Granary Books / New York Public Library, New York, 1998. Traduit de l’américain par Martin Richet. </p>
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Un grand merci à tous les contributeurs pour leur soutien.</p>
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Voici quelques images d'une matinée à l'atelier typographique d'Éric Pesty.</p>
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<strong>Préparation de l'habillage de la Fag et sa mise en tension</strong></p>
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<strong>Impression d'une affiche sur Fag par Natalia Paez Passaquin</strong></p>
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<em>Albany</em> est un long paragraphe composé de cent « Nouvelles phrases » pour reprendre le terme de Ron Silliman, défini dans l’essai célèbre (et très débattu) qui porte ce nom. La « nouvelle phrase » se conçoit comme une unité indépendante, sans relation temporelle ou causale aux phrases qui la précèdent et la suivent. Comme un vers dans un poème, sa longueur est déterminante, et son sens dépend du système d’organisation qu’est le paragraphe. Voici, par exemple, les vingt premières phrases d’<em>Albany </em>:</p>
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<em>Si l’écriture a pour fonction « d’exprimer le monde ». Mon père ne versant pas de pension alimentaire, ma mère fut contrainte de vivre chez ses parents, mon frère et moi d’être élevés dans une seule petite chambre. Grand-père les traitait de nègres. Je ne peux pas me payer une voiture. Loin de l’autre côté de la baie se dressait un ensemble de longs bâtiments jaunes, une prison. Une ligne la distance entre. Ils cernèrent le restaurant de poisson en chantant « We shall not be moved ». Mon tour de cuisiner. Je peinais à adapter mon sommeil aux heures de soleil. L’événement n’avait rien de comparable à leur rapport. À quel point me souciais-je de son échec à l’orgasme ? Le discours de Mondale fut couvert par les huées. Les damnés. Elle se présente comme rescapée du viol. Il avait pourtant un grand ami hispanique. Je décidai de ne pas fuir au Canada. Accroissement des recettes. La compétition et le spectacle, espèces de drogues. Si une forme s’y manifeste, certains refusent de lire. La télévision unifie la conversation.</em></p>
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Et les vingt dernières :</p>
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<em>Les populations clientes (traversent la toundra). Au noir. Tout le quartier se vide dans la journée. Les enfants forment des files à la fin de chaque récréation. Expropriation. Chaise tournante. L’histoire de la Pologne en 90 secondes. Fords en flamme. L’économie, le moi, ces endroits n’existent pas. Cet oiseau manifeste le ciel. Notre foyer, nous disait-on, avait éclaté, mais qui étaient ces gens avec qui nous vivions ? D’un coup de matraque à l’estomac, elle fit une fausse couche. Il y avait des baïonnettes sur le campus, des vaches en Inde, des voleurs de livres. Je voudrais seulement tenir jusqu’à midi. Tolérant des mouvements nationalistes dans le Tiers-Monde. Laisser reposer la vaisselle une semaine. La culture macho des détenus. À la carabine et « en défense » le policier lui tire une balle dans la tête. Ici, pour un moment, nous sommes réunis. Les petites annonces gisent éparpillées sur la table.</em></p>
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Comme dans les longs poèmes <em>Ketjak</em> et <em>Tjanting</em>, écrits quelques années plus tôt, <em>Albany</em> s’appuie sur la parataxe, la dislocation, l’ellipse (la toute première phrase, par exemple est une proposition conditionnelle sans subordonnée), les jeux de mots, le paragramme et le son pour construire l’unité de son paragraphe. Mais ce n’est pas qu’une affaire d’absences. Le poète évite aussi l’ « expressivité » conventionnelle en refusant de nous présenter un « je » consistant, et en ne précisant jamais, d’ailleurs, qui pourrait être le sujet d’une phrase donnée. Qui est-ce, par exemple, qui dit « je voudrais seulement tenir jusqu’à midi » ? Ou « parler à ce point est oppressant » ? Qui croit que « la musique est essentielle », et, à ce propos, essentielle à quoi ? Quelle « insouciance entraîne l’avortement » ? Qui est-ce qui « avait pourtant un grand ami hispanique » ? Et ainsi de suite.</p>
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En même temps – et cela a toujours été un trait caractéristique chez Silliman – l’indétermination des agents et référents n’empêche pas une attention obsessionnelle aux détails « réalistes ». Malgré de fréquents déplacements dans l’espace et le temps, le monde d’Albany, en Californie, est entièrement reconnaissable. Pour commencer, ce n’est pas le « Bay Area » des riches (les citadins de Marin County, les esthètes de Russian Hill, ou les cadres dynamiques de Berkeley). Le motif prolétaire est immédiatement établi : « Mon père ne versant pas de pension alimentaire, ma mère fut contrainte de vivre chez ses parents, mon frère et moi d’être élevés dans une seule petite chambre ». Et c’est du prolétariat blanc qu’il s’agit : « Grand-père les traitait de nègres ». Plus tard, le narrateur vivant alors dans un quartier pluriethnique de San Francisco, nous lisons « ils parlent farsi à l’épicerie du coin ». Le poète est un activiste politique : il manifeste et intervient, est brièvement incarcéré, évite le Vietnam, et ainsi de suite. De nombreuses explications ont trait à ce que l’activiste affronte au quotidien : « Les flics portent des insignes qui servent de masques. » Mais le paragraphe est aussi empreint de références sexuelles : amour, rencontres et séparations, viol, fausse-couche et avortement. Apparaît, enfin, le thème de la poésie : « Si une forme s’y manifeste, certains n’arrivent pas à lire. » Et de la lecture publique : « Pas facile si tes auditeurs ne s’identifient pas comme lecteurs. » L’écriture apparaît toujours en filigrane mais on gagne sa vie autrement : « Les petites annonces, comme nous le rappelle la dernière phrase, gisent éparpillées sur la table ».</p>
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« L’œuvre de Silliman, observe Jed Rasula, peut être lue comme un grand refus des stratégies de domination autoriale. » Rasula reprend ici les termes des premiers manifestes « language » de Silliman lui-même, insistant sur la nécessité d’éviter ce que Charles Olson appelait « les interférences lyriques de l’individu en tant qu’ego » et le refus d’un « moi » consistant qui, par sa construction d’événements et de formes verbales, contrôlerait le matériau en question. Il convient de comprendre le « réalisme » d’Albany, dirait sans doute Rasula, non comme une forme d’expression personnelle mais comme un réseau complexe de signifiants dans lequel vocalisations et registres linguistiques conflictuels entrent en jeu.</p>
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Mais faut-il donc trancher ? Et peut-on vraiment affirmer que Silliman rejette la « domination autoriale » ? Ce type de formulation me met de plus en plus mal à l’aise. Car qui contrôle, après tout, les opérations langagières spécifiques au texte ? Il ne fait aucun doute, pour commencer, que <em>Albany</em> est le poème d’un homme : un homme, conscient des besoins et difficultés des femmes qu’il côtoie, mais principalement pris par le politique : la nécessité de manifester, les abus de la police, les « baïonnettes sur le campus », la question des « mouvements nationalistes dans le Tiers-Monde ». « À quel point me souciais-je, lit-on à la phrase 11, de son échec à l’orgasme ? » Manifestement pas plus que ça, puisque la phrase suivante dit « Le discours de Mondale fut couvert par les huées. » Même des énoncés apparemment neutres tels que « Mon tour de cuisiner » révèlent qu’<em>Albany</em> est le poème d’un homme : le « tour de cuisiner » de la femme, nous le savons, n’est pas remarquable pour la plupart d’entre elles, puisque c’est toujours notre tour de cuisiner.</p>
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<em>Albany</em> se distingue par ses phrases déclaratives « normales » (« Je ne peux pas me payer une voiture », « Posséder une cave », « Mort au combat »), parfois insignifiantes, parfois aphoristiques, parfois tirées des journaux ou entendues à la télévision. Leurs curieuses collisions dénote un auteur terre à terre, débrouillard, largement autodidacte ; sa langue est celle d’un prolétaire (ce que suggère son prénom : Ron, non Ronald) qui a lentement et laborieusement appris le travail de poésie, qui a roulé sa bosse et a dû admettre beaucoup de choses, à commencer par l’absence de pension alimentaire de son père. Souffrance, violence et injustice sont des éléments de sa vie : de phrase en phrase, référence est faite au meurtre, aux fusillades, aux émeutes, à l’empoisonnement par l’amiante, etc. La difficulté domine même au niveau le plus trivial : « Je peinai à adapter mon sommeil aux heures de soleil ». « Se faire à l’idée de vivre avec moins de place. » « La bourse a servi à me réparer les dents. » Et ainsi de suite. Pourtant, les formulations caractéristiques de Silliman n’ont rien de lugubre : bien au contraire, sa « voix » émerge avec vivacité, curieuse, énergique, amusée, impliquée. Cette voix aime les mots : « Leurs matraques prennent le nom de clubs. Leurs clubs prennent le nom de comités ». Ou « Expropriation. Chaise tournante. » Ou encore : « Il y avait des baïonnettes sur le campus, des vaches en Inde, des voleurs de livres. Je voudrais seulement tenir jusqu’à midi. »</p>
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<p align="right">
<em>Marjorie Perloff</em></p>
<p align="right">
<a href="http://writing.upenn.edu/~afilreis/88v/perloff-on-albany.html">http://writing.upenn.edu/~afilreis/88v/perloff-on-albany.html</a></p>